Le Saint Graal et l’Homme

par James Chauvet

"L’homme est capable de tout connaître puisqu’il est capable de voir Dieu."

Saint Thomas d’Aquin

Prétendre à la Connaissance vivante serait insensé, si l’homme ne possédait en lui-même les essences des mondes matériels, cosmiques et spirituels qui l’entourent, dans lesquels il vit ; s’il n’en était ainsi, la notion d’ existence lui serait même étrangère et la science des lois du devenir (savoir des rapports des choses entre elles) ne serait pas possible.

Mais l’homme, outre l’image de Dieu qu’il porte en lui, don direct de l’Absolu, a reçu dans son organisme spirituel par la venue en chair du Verbe éternel, des grâces surnaturelles qui, développées, rectifient l’instinct vital dévié par la faute originelle, éclairent la raison raisonnante et confèrent à l’intelligence intuitive la liberté première.

L’homme reflète donc dans l’ordre matériel, universel, surnaturel, la vie du Verbe Créateur, et vouloir diviser, inverser ces trois sphères qui sont fonction de la Pensée Une, c’est mutiler l’Esprit.

Il ne s’agit donc pas d’être matérialiste, rationaliste, idéaliste, mais il faut, s’élevant dans le pur spirituel avec le Christ fait chair, vivre profondément, harmonieusement selon leur ordre hiérarchique et traditionnel, les éléments vifs qui composent l’être humain.

La Tradition primitive, dont on retrouve des fragments de doctrine chez tous les peuples, enseigne que l’homme est intelligence pure dans son principe et que l’intellection de sa pensée pure est sa véritable fin. Par elle, il s’unit à Dieu. Saint Thomas d’Aquin enseigne dans son œuvre cette surnaturelle vérité.

De par cette constitution l’homme peut agir dans les trois mondes :

Il peut se mouvoir dans chacun d’eux ; commander, obéir, demander, prier, recevoir, appeler, faire cesser l’isolement où plonge l’égoïsme, mais du coup, et au point de vue religieux, si l’acte de prier est un acte de foi, il est aussi, par nos considérations, un acte d’intelligence vivante ; il entraîne la perception du Réalisme foncier dont nous avons décrit l’essence, et ce que nous affirmons est justifié, corroboré, par la vérité traditionnelle enseignée par saint Paul, dans ses épîtres et que nous résumons ainsi : nous sommes jetés dans un océan de vie qui veut nous porter, nous élever, mais que notre égoïsme, nos incompréhensions paralysent et contrarient.

Cet océan de vie possède un centre intensément actif dont le degré de profondeur plus qu’essentiel est le Cœur de Dieu.

Et ce Cœur est le centre de l’Eternité, du Non-Temps où tout est plénier, repos dans l’intensité la plus suprême, simultanéité indicible, hors de toute dimension, que peut appréhender seule l’intelligence pure unie à Dieu.

Ce Cœur des Principes fut toujours pressenti, assenti par les anciens, mais il ne fut réellement connu que quand il se manifesta Rédempteur du monde et mourut en tant qu’Homme sur la croix du Golgotha.

Et c’est par lui que nous devons nous connaître d’une manière profonde, surnaturelle ; dépasser le sensible et le psychologique qui sont insuffisants en eux-mêmes ; il faut chercher plus loin qu’images et formes, de manière à saisir les idées dans leur source à la racine du je et découvrir au tréfonds de notre être le Christ Vivant.

Certes, la spéculation philosophique aboutit à l’idée d’être qui n’est qu’une abstraction en définitive, alors que l’être véritable est une vie et, faute d’envisager cet aspect existentiel, nous ne le connaissons pas. Nous en avons l’image sans en avoir la substance vive.

Et cependant notre mission terrestre est de nous chercher, de nous retrouver au milieu des attracts multiples du Cosmos qui nous éparpille, de saisir originellement et substantiellement notre être, notre propre cœur qui avive l’économie de nos vies internes et par ce moyen nous donner à l’Absolu.

C’est par la recherche, l’humilité, l’aspiration, la volonté intérieure, la prière, la haute convoitise, que nous poursuivons notre propre conquête.

Sans remonter aux différentes analyses des éléments qui composent l’homme selon les anciens et saint Thomas[1] , nous savons que l’être présente dans sa source, deux aspects :

En tant qu’originalité noble, l’être reflet essentiel du Bien et du Beau absolus est la vraie personnalité, don du Verbe Créateur avec toutes ses possibilités infinies.

En tant que Feu créateur, l’être est la flamme qui maintient la vie d’une manière divine, c’est la présence invisible du Verbe originel qui, sans se mêler aux manifestations extérieures de l’être, le vivifie.

De ce Feu, attribut essentiel du Christ fait chair, émane la Grâce qui crée l’homme surnaturel, l’homme de gloire, à travers la carnation même des astres.

Dès lors, par l’aspiration, appel à une intelligence plus haute qui aboutit à une foi pure, dénudée de tout apport extérieur, nous approchons du Dieu vivant dont le Christ fait chair est la porte.

Par la prière nous entrons dans le sanctuaire de Dieu ; par la volonté et la Grâce qui l’accompagnent, la fusion de l’Etre et du Connaître s’opère dans le Feu fruitif de la Déité trine.

Les transformations qu’entraîne une telle Connaissance ou une telle plongée dans le Cœur de l’Absolu, dont nous entretiennent avec tant de ferveur les spirituels de toutes les époques sont incalculables et se traduisent par l’expansion de la Personnalité, par l’équilibre intérieur et la liberté dans l’amour: l’homme devenu libre devant le Dieu Vivant.

Sur le plan surnaturel, la Connaissance vivante ainsi engendrée irradie au cœur de l’Esprit ses magnificences, en participation immuable à la Pensée Une, tandis que le Feu céleste crée par Grâce une Volonté efficace de lumière et une Lumière réalisante de volonté.

De ces deux puissances s’écoule une double force harmonieuse qui rayonne la santé pour le corps, et la vigueur pour l’esprit.

"Lorsque l’intellect est jugé digne de la contemplation de la Sainte Trinité, alors par grâce, il est lui aussi appelé Dieu, étant parachevé dans la ressemblance de son Créateur."

- Évagre le Pontique

Note :