La vision spirituelle du monde
Par James Chauvet
La Connaissance vivante concerne la Tradition première (la Science du Verbe fait chair), c’est-à-dire cet ensemble de savoirs universels que l’homme reçut aux origines, mais que par la chute originelle, loin de la Vie éternelle, il oublia en partie et, pour le peu qu’il détenait encore, corrompit.
Il ne nous en reste que des parcelles dans ces Principes premiers, que nous pouvons énumérer : Unité, Causalité, Rythme, etc.[1]
Ces mots nous apparaissent trop souvent comme des schémas, des squelettes ne portant qu’une vie diminuée.
Mais avant la chute l’homme disposait de toute leur substance vive, et participait par elles à l’universelle Vie et l’Union divine.
Aujourd’hui, ces Principes sont pratiquement brisés, multipliés, éparpillés, niés, et l’histoire des systèmes philosophiques nous montre à quel degré d’incompréhension, de déformation et d’oubli, la Tradition Une est tombée.
Mais le christianisme est venu rappeler l’unité de la Doctrine traditionnelle et dans le Verbe fait chair, la Réalité substantielle de la vie.
Saint Jean dans son Evangile (1er Chapitre, versets 1 à 14) est une évocation en même temps qu’un résumé de la Doctrine traditionnelle.
En son Essence, nous dit le Voyant de Patmos, le Verbe est l’Intelligence suprême (Intelligentia sublimior).
En ce Verbe, ont pris leur vie les Formes traditionnelles des races et des peuples, gemmes précieuses, irradiant de cet unique feu central ; cœur d’Amour et de Connaissance, qui embrasse au-delà de nos classifications ethniques, l’Oriental et l’Occidental, cherchant à les unir dans une même clarté[2].
Cette unification intérieure des familles spirituelles est l’œuvre du Verbe éternel, parce que, par sa venue en chair, il a créé un lien nouveau, inversé de celui des cultes anciens qui allait de l’humain à Dieu (effort de toute l’antiquité), et accomplit l’union suprême de Dieu à l’homme, par sa propre identification (mystère de l’Incarnation du Verbe).
C’est dans ce dernier fait que gît le trésor incomparable du Christianisme dont l’Orient n’a pas mesuré la profondeur, parce qu’il est perdu dans la contemplation de l’infini, sous son aspect de concentration et d’absorption, avers de la doctrine expansive, rédemptrice, dilatante de l’homme régénéré, du Verbe fait chair.
Il n’a existé, il n’existe, il n’existera jamais qu’une seule Religion, celle du Verbe, principe et fin de toutes les religions, présente en toutes, dissimulés sous des aspects divers, révélés par Moïse et Daniel, confirmée et scellée par le Verbe fait chair, ses apôtres et l’Eglise.
Notre-Seigneur Jésus-Christ appartient donc à la métahysique surnaturelle, à celle qui se fonde sur l’être et son au-delà vivifiant.
Dans le monde créé, il est ce qui soutient toutes hoses, la substance universelle, et celui qui le nie puise en Lui sa force pour affirmer par le jeu de l’illusion et de l’ignorance sa foi au néant[3].
Le Nom du Verbe est un dans son essence, mais multiple dans les différentes traditions : Logos des platoniciens, Insan ulkamil des musulmans, Ishwara des hindous, etc.
Nous nous garderons de confondre la vie omnipotente, (présence d’immensité) du Verbe cosmique richement écrite dans toutes les traditions d’Orient et d’Occident, avec celle tout intérieure, tout intime, toute palpitante de saint Jean l’Evangéliste, qui les enveloppe toutes, dans l’expression du positif de leur lumière, et dans la mesure de leur obédience d’essence à la vie du Christ fait chair, manifestation seigneuriale de la Pensée vivante dans l’homme et dans l’histoire.
Il y a, dès lors, d’évidence, entre les doctrines tradilionnelles et l’évangile johannique des rapports qui appartiennent au mystère théophanique de l’Homme-Dieu.
On peut considérer, en effet, l’expansion vivante du Verbe, à travers les textes de saint Jean, rejoignant par des voies inconnues la concentration spirituelle des ascètes orientaux, lorsque ces derniers dépouillés, dénudés, reçoivent le baptême de feu, qu’aux limites des mondes cosmiques, sur le seuil du Surnaturel, le Christ donne aux âmes perdues dans l’humilité profonde, quelles que soient les formes traditionnelles qu’elles revêtent.
Mais le fait que nous retenons de l’examen des Ecritures dites traditionnelles, c’est qu’elles révèlent des correspondances spirituelles qui méritent d’être méditées et considérées comme les joyaux d’une même couronne.
Dans leur polarité opposée de temps et d’espace, elles s’unissent au-dessus des contingences dans le Verbe-Vie, mais rien qu’en Lui seul. Car en-dehors de Lui, rien ne peut exister ; en-deçà est le cône d’ombre de la Négation, où s’égarent les orgueilleux, où agonise en des limbes misérables la lueur dernière de la pensée revêtue du noir désespoir et où se creuse, dans une ténèbre effroyable, le zéro abyssal de la mort éternelle.
Il ne s’agit donc pas, dans notre exposé, d’un syncrétisme commode qui confond les différentes valeurs des traditions en les nivelant, qui rabaisse et efface la Présence éternelle du Verbe conservateur et le rôle historique du Verbe fait chair.
Dans la Connaissance vivante, point de jeu de pensée, point d’abstractions irréelles, mais la saisie joyeuse de la Vérité par l’intuition spirituelle captatrice de vie, par l’appréhension du Réel dont la contemplation révèle les infinies splendeurs, et dans leur Essence céleste et dans l’Histoire.
Ce Réel éternel au cours de la marche évolutive des peuples, a toujours brillé sous le manteau des traditions et s’est manifesté primitivement chez Melchisédech, puis électivement chez Moïse, Elie, pour s’affirmer divinement dans la Personne et la chair de Notre-Seigneur Jésus-Christ, personnalité surnaturelle au contact de laquelle s’éveille la Connaissance vivante jusque dans ses profondeurs éternelles.
La mission de promouvoir les richesses du Verbe sous ses formes authentiques dans les diverses traditions, appartient à l’Eglise, aux théologiens, aux vrais connaisseurs, aux apôtres, aux saints artistes de la Vie Une.
La variété des rites, les termes différents désignant une même essence vivante, ne sauraient faire oublier que cette essence suprême s’est uniquement incarnée en toute plénitude, en Notre-Seigneur Jésus-Christ, en qui la Tradition trouve sa source et sa réalisation totale, par qui s’est opérée t s’opère la Rédemption du Monde.
Selon l’expression de la tradition chrétienne, Il accomlit les Ecritures, c’est-à-dire l’identité suprême de l’homme à Dieu, rendue possible à tous, depuis que par le Christ Dieu s’est identifié à l’homme, Incarnation du Verbe, double réalisation de la Tradition accomplie selon le Divin et l’humain divinisé.
Dès lors, quel attrait, quel enchantement, quelle joie parcourir les pays ensoleillés du Verbe éternel, de retenir dans leur essence les formes traditionnelles des peuples, de pénétrer dans l’agréable jardin des Attributs divins ; d’aller au-delà, pour saisir ce qui les constitue divinement : le Sang précieux du Verbe, pour, à ce contact, revêtir notre esprit du flamboiement du Fils et rayonner autour de soi par grâce, la Lumière agissante de l’intellection divine ! Cette intellection qui cherche les Connaisseurs est au-delà de tous les Principes[4].
Le Verbe est la Cause insondable, le Fondement de tout ce qui existe. Il est le Cœur spirituel, le Centre vital le l’Eglise, l’Artère invisible du monde, le Rayon céleste animateur de l’âme, l’Intellect actif du philosophe.
Il est encore le Créateur, le Conservateur, le Législateur et le Rédempteur : autant de points de vue différents, vrais dans leur essence et dans la sphère propre qu’ils embrassent.
Comme saint Paul l’écrit : En ce Verbe nous vivons avec toutes nos possibilités universelles, constitutives de notre Personnalité profonde[5].
Notre individualité est comme l’enveloppe de notre être intime ; elle ratiocine, obéit au calcul, à l’intérêt, nous tient par là éloigné du Surnaturel, Réalité vivante.
Notre Personnalité profonde qu’éclaire la Lumière du Verbe, au contraire, est notre Moi véritable, organisme spirituel qui vit dans l’Universel et le Surnaturel, plus vrai que notre mental ou le moi psychologique de l’individu.
Développée, la Personnalité nous élève à certains états supérieurs de conscience et, par grâce, elle devient capable de recevoir les apports divins.
En elle brille une image abyssale divine qu’affectionne l’Absolu, sur laquelle le souffle de l’Esprit-Saint éveille une surnaturelle activité. De cette Lumière intérieure découle l’intelligence qui dans le temps s’informe en catégories.
Ici commence la philosophie ; mais nous laisserons les discussions qu’elle entraîne ; notre but est d’atteindre le Réel, le seul Lieu situé où gît l’inébranlable certitude, l’incomparable Vérité, le Dieu-Verbe.
Dieu est Suprême Intelligence, Intelligence-Lumière présente à elle-même et qui n’a pas besoin de se connaître par autre chose que par elle-même. Rien de nos moyens pleins de lenteur n’a de place dans cette vie intense, simultanée. Et c’est par le Verbe que nous pouvons apercevoir quelque lueur de l’Intelligence absolue d’où découle le dynamisme de la Grâce.
Nous touchons au Cœur vivant de l’Absolu et nous ne pouvons quelque chose ici-bas, que par l’affirmation de son Verbe, le Christ fait chair.
De là, le sens révélateur de la Tradition première du Christianisme et de l’Eglise qui sont l’essence et l’histoire de cette Affirmation dans le Monde.
Il ne s’agit pas d’abstraction mentale, habilement conçue, mais de vie intellectualisante intense, de Réalité absolue.
Et si, par grâce donnée à notre cœur profond, nous pouvions logiquement affirmer notre être hors des limitations qui le cernent logiquement puisqu’il est créé, notre esprit s’ordonnerait à une Connaissance qui est au-delà du concept d’être, dépasse l’Universel, s’ouvre sur le Surnaturel. Nous toucherions à une Réalité, à un sur-Etre, à une plénitude de vie indescriptible, qui peut être perçue dans une pensée divinement profonde.
Nous vivrions un état surnaturel réel, foncier, fruit de Grâce, dans la Lumière de la Déité.
Puisse Dieu, au terme de notre Queste, nous accorder la Puissance de cette Connaissance et le fruit de l’Affirmation du Cœur !
Notes
Les occultismes sont les fruits vénéneux de cette corruption. Cf. Dr Paul Carton, La Science occulte et les sciences occultes, Brévannes, l’auteur, 1935.
Ce qu’on appelle aujourd’hui religion chrétienne existait déjà chez les anciens et n’a jamais cessé d’exister depuis l’origine du genre humain jusqu’à ce que, le Christ étant venu, l’on a commencé d’appeler chrétienne la vraie religion qui existait auparavant. La religion catholique n’est qu’une continuation de la religion primitive restaurée et généreusement enrichie par Celui qui connaissait son œuvre depuis le commencement. (D’après saint Augustin).
La pensée ne peut se nier sans que par cela même elle se pose, car la négation consciente est pensée.
Cf. sainte Madeleine de Pazzi.
Cf. Actes, XVII, 28.
Illustration : Entrée principale de l'abbaye de Westminster - Tympan de la façade nord.