La Connaissance vivante
Par James Chauvet
L’Idée pure est l’expression informelle de la Réalité suprême.
Elle est le rayon de l’Absolu, Fils unique de Dieu.
Elle est la source de toute existence, véritable concret transcendant où brille glorieux le mystère de la Divinité trine, où plongent les racines de l’homme.
Elle engendre l’intelligence, la Raison et ses opérations. Elle est comme une substance vive, dont l’expérience prégnante révèle à la conscience qu’elle crée, l’Invariant céleste, l’Axiome primordial distinct de ses propres créations.
Elle est Lumière de la Connaissance, feu de l’énergie spirituelle, Personnalité vivante dans le Moi humain qui reçoit ses intensités ; elle maintient tout l’être et donne puissance aux sentiments, aux sens, les harmonisant, les commandant par ses irradiations.
C’est elle seule, qui nous reste après nos désaccords, nos contradictions; ses dimensions métaphysiques et surnaturelles nous dépassent infiniment parce qu’en elle Dieu réside[1]. Le plus souvent nous ignorons cette Pensée pure, parce que la multiplicité des sens nous captive et nous attire en des bas-fonds troubles, loin des clartés de l’Esprit.
Cependant, pour mieux se faire connaître et pour qu’elle demeure immaculée et noble, au-dessus de nos colères, de nos orgueils, de nos désespoirs, de nos esclavages, cette Idée pure, suprême, qui est vie et lumière, au cours de l’histoire, montra son visage d’amour en la Personne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Dès lors tous les hommes furent invités à la conquête de la Vérité, à la Queste du Sacré.
Aujourd’hui comme autrefois, comme au temps des légendaires chevaliers du Saint Graal : poursuivre la Queste divine, ou la recherche de l’Absolu, est la plus noble des aventures en laquelle s’engagent avec enthousiasme les chercheurs, les artistes, les poètes.
Et qui d’entre nous, par le don de l’esprit, n’est pas plus ou moins l’un de ceux-là ?
Hésiterions-nous, puisqu’au terme de cette Queste ardente, s’épanouira notre tact spirituel, s’agrandira notre personnalité, s’assurera notre salut ?
Mais si notre destinée est grande, ce que nous sommes en dehors d’elle est une expérience douloureuse, qui explique la souffrance universelle.
L’homme individuel est un être faible moralement, physiquement ; ses facultés peuvent s’affaiblir, faire place à la nuit ; les lois de la relativité l’emprisonnent dans un monde de rigueur et les prévisions les plus scientifiques sont dominées toujours par l’irrationnel, qui jette l’esprit dans le désarroi, lorsque l’homme dresse le matériel contre le spirituel ; enchaîné au discursif mental, savoir par reflet, ses élans vers la liberté tournent aveuglément dans le cercle sans fin du déterminisme.
Cependant l’homme doit poursuivre sa haute destinée, se libérer ; l’Evangile l’y invite. Du point de vue intérieur, d’une logique antérieure à l’esprit, il possède des richesses surnaturelles, dont le Christ sur le Golgotha l’a investi ; mais le matérialisme et l’agnosticisme qu’il subit passivement réduisent ses pouvoirs à néant.
De plus, ces richesses sont mêlées à l’immédiat du corps humain, qui est l’objet de tant de soins, et cette forme corporelle contient toute une science anatomique, esthétique, etc. Elle révèle en même temps toute une série de mystères : fluide du sang, électricité nerveuse, qui se mêlent aux cellules, aux chromosomes, aux gènes ; autres mystères plus profonds, qui nous jettent sur le seuil de l’invisible physiologique. Et cet invisible, en s’approfondissant intérieurement, devient ultra-vital, supra-sensible, surnaturel et s’insère quand même, selon une dimension inconnue, dans chacun des organes, obéissant à une loi d’harmonie dont la clef repose en la Pensée suprême de Dieu ; Pensée qui dans l’homme est le centre de son être, son cœur spirituel, placé à la jonction du fini et de l’Infini, sur les rives d’un océan de vie et de lumière.
Et ce cœur est aussi une arche incorporelle, un vase d’élection, un Graal qui reçoit les apports des sens, mais qui, lorsqu’on le ferme à l’extérieur et qu’on le creuse profondément par la Queste spirituelle, laisse jaillir par grâce une lumière immuable, pénétrant intérieurement à travers lui, et venant de l’au-delà de la plage lumineuse qu’il habite.
Ce cœur intelligent est l’essence même de l’homme, ce qu’il y a de plus parfait en lui, substance vive au double portail ouvrant sur le fini et l’Infini, substance vive qui contient les archétypes de nos activités mentales et physiques et qui doit régir harmonieusement nos idées, nos sentiments et nos sens.
C’est une Pensée divine pleine de gloire, d’énergie qui vient du Verbe éternel, comme le rayon vient du Soleil ; elle purifie comme une eau lustrale, elle exalte comme un arôme céleste ; elle enracine la volonté dans la force principielle, ou Verbe de Dieu, tandis qu’éclate plus haut, comme un Soleil dans l’unité, la Connaisance vivante.
Mais conquérir cette Connaissance vivante est une véritable Queste, car, au milieu des difficultés que rencontre l’esprit humain déjà lié aux attraits des mondes inférieurs, cette Connaissance présente des degrés dans son obtention, et il est facile, en raison de nos imperfections originelles, de s’enivrer des vins falsifiés de la fausse intellectualité.
Aussi, arrachons-nous aux prestiges trompeurs des idéologies, prenons conscience de notre être, de notre grandeur, comme miroir vivant de l’Absolu, de notre dignité dont la racine est en Dieu.
Montons jusqu’à notre cœur, et là poursuivons le pèlerinage de notre pensée vers sa source créatrice.
La Connaissance vivante est la saisie par l’intelligence de la Pensée, mais de la Pensée pure qui émane du Cœur de Dieu ; et parcourir son cycle commence à l’impression sensible, passe par l’image, le général, l’universel pour atteindre le pur intelligible. L’intellection inconditionnée, la Pensée nue, Vierge céleste d’où jaillit la lumière surnaturelle, don de l’Absolu.
Mais cette Pensée pure, éclat éblouissant du Cœur de Dieu, implique dans ses activités, à force de profondeur, inanalysable par conséquent à l’intellect discursif, une intensité paisible, unifiante, et, sous cet aspect de Conscience infinie, contemplative de sa propre activité, s’élève une aspiration qui est le motif le plus fort de la Connaissance : l’Amour.
L’Amour porte alors l’idée vers la Pensée découverte par l’intelligence et produit le scellement d’effusion entre l’essence et la substance, le connaître et l’être, où se révèle dans le non-temps, l’éclat de l’unité divine, unité de la Volonté et de l’Intelligence dans la Pensée pure, unité où dans l’ordre dynamique l’intelligence est de la volonté diffusée et la volonté de l’intelligence concentrée.
L’Amour et la Connaissance ne sont donc point séparés ; ils se poursuivent, ils se rencontrent, ils se contemplent éternellement ; mais, unis aux objets terrestres, ils obéissent au déroulement du temps, et en raison de nos tendances de tempérament, nous préférons plutôt l’une que l’autre, ce qui crée en nous, des degrés de sagesse qu’en son essence la Connaissance vivante ne peut subir, car elle est l’intégrité divine absolue, la Beauté suprême, la Mère Sagesse.
En elle s’explicitent, dans le simultané de l’Éternité, les processions des trois Personnes de la Sainte Trinité : Le Père, le Fils, le Saint-Esprit.
Or, l’attrait de la Connaissance, souvenir des origines premières, de l’Eden perdu, s’exerce sur l’homme à travers les lointains de l’Histoire et les Traditions racontent à l’envi, en termes émouvants, les efforts de l’homme pour retrouver la Connaissance éternellement vivante.
En effet, les légendes, le folklore, sous le merveilleux de leurs récits, rappellent les splendeurs de la Connaissance oubliée.
Nous pourrions citer toutes les légendes de l’antiquité, mais, Occidentaux, nous raconterons celle du Saint Graal qu’aimait le moyen âge pour sa haute poésie, et surtout pour sa vérité doctrinale.
Notes :
"Au-delà de l’être temporel, il y a une unité incréée, née de Dieu dans la génération du Verbe qui ne se sépare jamais ni de nous, ni de Dieu." Ruysbroeck l’Admirable (trad. bénédictins de Saint-Paul-de-Wisques, 1912-1930).
Illustration : Chapelle latérale de l'église Saint-Roc de Lisbonne.